Sous une pluie abondante, nous prenons la route au petit matin pour Nara qui fut la capitale du Japon entre 710 et 794. Son histoire est plus ancienne encore que celle de Kyoto. Elle fut le berceau des arts, de la littérature et le nombre de statues de bouddha témoigne d’une ferveur religieuse très importante.
Fondée sur la plaine de Yamato, Nara devint le grand centre du bouddhisme et l’ultime destination de la route de la soie. Cette cité ancienne est entourée de temples ceints de parcs et de quelques-uns des plus anciens bâtiments de bois du pays.
De structure rectangulaire très simple, avec ses rues en damier, Nara se divise en blocs. Le centre ville se trouve à quelques minutes de marche du parc de 525 ha qui abrite la plus grande partie des temples et donne asile à 1500 daims (shika) apprivoisés. Les daims occupaient le Japon bien avant les Japonais. Messagers divins selon le shintoïsme, ils sont présents à Nara depuis des siècles. Des étals vendent des biscuits pour daims (shika sembei), souvent mâchonnés par les étrangers qui les prennent pour des spécialités locales.
Les kami (esprit divin) semblent avoir étendu leur protection sur nous. Après 1h30 de route, nous arrivons au temple Horyu-ji, situé dans la ville d’Ikagura-no-Sato, à dix kilomètres au sud de Nara. Le ciel est gris, mais la pluie s’est arrêtée et nous prenons le risque de laisser nos parapluies dans l’autocar.
Avant de pénétrer dans l’enceinte du temple, un nouvel aparté, cette fois-ci sur le bouddhisme. Parmi les 300 millions de bouddhistes actuels, 100 millions sont japonais. Le bouddhisme a joué un rôle essentiel dans la formation du Japon. Comme en Europe à la fin du Moyen Age, les moines détiennent la clé de la connaissance. D’abord Coréens et Chinois, ils apprennent à lire et à compter, à construire des temples, des routes et des villes et posent les bases de la culture, des arts, du gouvernement et du droit.
Le bouddhisme est fondé sur l’enseignement de Siddharta Gautama (vers 560-480 avant J.-C.), également appelé Shakyamuni, né dans le sud du Népal. Après sa mort, il est vénéré comme le Bouddha, « celui qui est illuminé ou éveillé ». Ses disciples consigneront plus tard par écrit ses enseignements oraux.
Pour le bouddhisme, toute vie est souffrance, conséquence des attachements, des désirs et de l’ignorance. Le remède se trouve dans l’abstinence, la justice et la méditation, étapes menant à l’illumination. Le comportement dans la vie présente détermine la qualité de la réincarnation dans la suivante. Après la mort, ceux qui ont atteint l’illumination brisent le cycle de souffrances et de renaissances pour entrer au nirvana, un état de béatitude parfaite.
Apporté par des émissaires coréens vers 538 ou 552, le bouddhisme japonais s’appuie essentiellement sur la doctrine mahayana. Elle enseigne que seuls des saints très éclairés deviennent des bodhisattvas ou bosatsu, incarnations déifiées d’aspects de la nature de Bouddha.
Le bouddhisme est proclamé religion d’état par Shotoku en 594. Dans un premier temps, il attire les classes supérieures de la société, jusqu’à ce que le moine Saicho (767-822) fonde la secte Tendai. En incorporant des divinités shintoïstes dans sa doctrine, le bouddhisme connait un immense succès. Le moine Kukai (774-835) étudie le bouddhisme en Chine et fonde au Japon la secte Shingon qui prône un bouddhisme ésotérique dont l’influence va dépasser celle de la secte Tendai à la fin de la période Heian. Elle compte aujourd’hui 12 millions de fidèles.
Fondé en Chine par le moine indien Bodhidharma au 6e siècle, le zen (chan en chinois, du sanscrit dhyana qui signifie méditation) est introduit au Japon par le moine Eisai (1141-1215). Dépourvu de doctrines ou de textes, le zen est transmis verbalement du maître à son disciple. Il soutient que l’illumination ne peut être atteinte que par la méditation (zazen). Axé sur une autodiscipline austère, sur la frugalité et le labeur, le zen apporte des concepts spirituels aux arts martiaux, le rendant cher aux samouraïs. Cette adhésion des samouraïs permet au zen d’atteindre son apogée entre le 15e et le 17e siècle. Il apporte des innovations en matière de calligraphie, de poésie, de peinture, introduit la cérémonie du thé et réinvente l’arrangement des fleurs pour en faire un art. L’influence du zen est encore vive dans le Japon moderne.
Pénétrons maintenant à l’intérieur du temple Horyu-ji. Les parties les plus anciennes datent de la période Asuka et sont considérées comme étant les plus vieilles constructions en bois du monde. Leur construction coïncide avec l’introduction du bouddhisme au Japon. Elles illustrent l’adaptation de l’architecture et des plans bouddhiques chinois à la culture japonaise.
D’après les textes anciens, l’empereur Yomei, en proie à la maladie, fit le vœu de bâtir un temple et d’y installer une statue de Bouddha afin d’obtenir la guérison. Il mourut peu de temps après sans avoir pu réaliser son vœu, mais l’impératrice et le prince héritier Shotoku (573-621) firent construire en 607 un temple nommé Horyu-ji ou « temple de la loi florissante ». Le prince Shotoku s’efforça également d’imposer la pratique bouddhiste, parallèlement à celle du shintoïsme, pour en faire un pilier du système de croyances japonais.
Berceau du bouddhisme japonais, le temple Horyu-ji abrite des effigies antiques de Bouddha et se compose de deux parties : le To-in (partie est) et le Sai-in (partie ouest).
Inspirée des stupa bouddhiques de l’Inde (tumulus ou montagne funéraire en forme de dôme contenant les restes d’un défunt), la pagode à cinq étages est l’une des structures séculaires du temple et la plus ancienne de son genre au Japon. Sur le plan symbolique, chaque niveau correspond à un élément : la terre, l’eau, le bois, l’air et le ciel. Son pilier central vient du tronc d’un cyprès et sa forme renflée évoque le style grec classique, véhiculé par la route de la soie. Un fragment d’os de Bouddha est conservé à sa base.
Au-delà de la route bordant le parc de Nara au sud se trouve le temple Shin-Yakushi-ji, dédié au Bouddha de la Médecine, et son petit jardin à l’atmosphère intemporelle et baignée de nostalgie.
Il fut construit en 747 par l’impératrice Komyo, en guise d’offrande au Bouddha pour avoir permis la guérison de l’œil malade de son mari, l’empereur Shomu. Il est devenu l’un des quartiers généraux de l’école Hosso-shu. Son toit est encore pourvu de tuiles oni-gawara ou tuiles « démons », disposées aux angles et destinées à faire peur aux mauvais esprits.
La seule structure originelle subsistante est la salle principale (Yakushi-do) dont les structures sont toutes des « trésors nationaux ». Le principal objet de dévotion est une statue de 2,4 mètres de haut de Yakushi-Nyorai, le Bouddha de la Médecine, assis, entouré du Bouddha de la Miséricorde, Kannon aux onze visages, et de Juni-Shinsho, les douze guerriers divins, dans des poses grimaçantes, très expressives.
Il y a en réalité onze statues d’argile de guerriers revêtus de leur armure, l’une d’elles s’étant perdue il y a des siècles. Hautes de 1,60 mètres de haut et recouvertes de chaux, elles étaient à l’origine peintes à la feuille d’or. Leur souvenir demeure à l’intérieur de nous car les photographies sont interdites.
A l’extrémité nord-ouest du parc de Nara, nous atteignons le temple Todai-ji, célèbre pour sa statue en bronze du Grand Bouddha, le Daibutsu.
L’ensemble du Todai-ji est constitué d’un grand temple de Bouddha (Daibutsuden), de temples secondaires, de salles, de pagodes et de portes d’un intérêt architectural et historique exceptionnel. Sa construction, achevée en 752, fut ordonnée par l’empereur Shomyo, officiellement pour abriter l’effigie du grand Bouddha de Nara, mais aussi pour consolider la position de capitale et de puissant centre bouddhiste de la ville. Sa fabrication a pris huit ans et mobilisé 100 000 personnes.La monumentale porte sud (Nandaimon), devant l’entrée, date aussi du 8e siècle. Elle est flanquée de chaque côté de féroces divinités gardiennes, debout dans des niches. Ces effigies en bois sculpté de huit mètres de haut datent de la période Kamakura et sont attribuées à l’école du sculpteur Unkei.
Le temple principal du Todai-ji (Grand Temple de Bouddha) fut reconstruit à plusieurs reprises. La structure actuelle, terminée en 1709, qui n’atteint que les deux tiers de la taille originale, reste le plus grand bâtiment de bois du monde. Son toit décoré est étonnant. Il est orné de cornes d’or et d’un linteau incurvé (embellissement du 18e siècle).
Le soutien de charpente de la grande salle, entièrement en bois, est inhabituel. Construite de 1689 à 1709, cette salle est sans doute l’œuvre d’artisans chinois.
Elle abrite la statue de bronze la plus massive du Grand Bouddha. Le moulage de cette immense statue datant de 752 nécessita des centaines de tonnes de bronze fondu, du mercure et de la cire végétale. Assis sur son piédestal, ce colosse, pesant 550 tonnes dont 290 livres d’or, s’élève à 16 mètres de hauteur. Les incendies et les tremblements de terre déboîtèrent la tête à plusieurs reprises. Lors de son époussetage, on peut observer quatre ou cinq moines affairés dans la main de Bouddha.
A gauche et à droite du Grand Bouddha, deux Bosatsu ou Bodhisattva (être ayant reçu l’illumination) datant de 1709 : Bosatsu Kokuso et Bosatsu Niyorin Kannon.
Derrière lui, deux gardiens célestes datant du milieu de l’époque Edo : Koumokuten et Tamonten. Un pilier de bois situé à droite est censé ouvrir le chemin de la révélation à ceux capables de se glisser dans le trou de sa base – un privilège réservé aux personnes minces.
Nous terminons notre journée à Nara par le grand sanctuaire Kasuga. A l’origine sanctuaire tutélaire des Fujiwara, l’une des familles fondatrices de Nara, Kasuga est l’un des sites shintoïstes les plus célèbres. Les rues et les allées boisées qui accèdent à ce sanctuaire vermillon s’ornent d’environ 3000 lanternes de bronze et de pierres, délicatement enveloppées d’un manteau de brume à notre arrivée.
Fondé par l’ancien homme d’état Fujiwara no Michinaga en tant que sanctuaire familial en 768, Kasuga Taisha est un symbole du style de temple chinois en vogue entre les 7e et 10e siècles. Sommées de mousse, les lanternes de pierre ornent le sanctuaire de Kasuga depuis le 11e siècle. Comme la plupart des grands sanctuaires shintoïstes, les principaux édifices sont rituellement démolis et rebâtis à l’identique tous les 20 ans. L’allée menant au sanctuaire (800 mètres de long) est bordée par près de 2000 lanternes en pierre données par les fidèles depuis le 11e siècle. 1000 autres, en bronze, sont accrochées à l’avant-toit des édifices les plus proches du principal lieu saint.
Avant de quitter définitivement ce sanctuaire, quelques précisions sur le shintoïsme ou « voie des dieux ». Il trouve ses origines dans les tribus préhistoriques et ses racines dans une religion populaire animiste qui vénère les kami, dieux habitant toute chose, même le soleil.
En dehors du sanctuaire, les cérémonies shintoïstes peuvent aujourd’hui présider à l’inauguration d’un chantier d’immeuble ou d’usine, voire même à la bénédiction d’une nouvelle voiture. Brandissant des branches vers les points cardinaux pour éloigner les esprits malins, le prêtre est assisté des miko (servantes dans le sanctuaire), dont les mouvements évoquent ceux d’un chaman en transe.
Des influences chinoises ont transformé le shintoïsme en un culte des ancêtres selon lequel chacun – surtout les empereurs – devient kami (esprit divin) après sa mort.
Le shintoïsme ne possède ni doctrine, ni éthique. La prêtrise, fonction héréditaire, consiste à entretenir le sanctuaire.
On reconnait les sanctuaires shintoïstes aux torii situés à l’entrée. Ils sont souvent ornés de blanc et de rouge, couleurs rituelles masculine et féminine. Les anciens dieux, dépourvus de forme, ne sont pas figurés. Un torii (« là où se trouvent les oiseaux ») est un portail traditionnel japonais séparant le sacré du profane. Du fait de sa fonction de séparation symbolique du monde réel et du monde spirituel, chaque torii traversé lors de l'accès à un lieu sacré doit être retraversé dans l'autre sens afin de revenir dans le monde réel. Il n'est pas rare de voir des japonais contourner un torii lorsqu'ils ne pensent pas repasser plus tard par cet endroit.
Le shintoïsme est une religion agraire, liée au cycle des récoltes. Les devoirs rituels de l’empereur comprennent encore la cérémonie de la plantation et de la récolte du riz. 70 millions de personnes rejoignent les sanctuaires en début d’année pour obtenir la protection divine.
Le shintoïsme fuit l’impureté et la pollution. Lorsqu’ils pénètrent dans un sanctuaire, les japonais se lavent les mains et se rincent la bouche. Ils annoncent ensuite leur présence au dieu en faisant sonner la cloche à l’aide d’une corde suspendue au-dessus de l’autel.
Fourbus, mais comblés, nous reprenons la route en direction de Kyoto que nous atteignons à la tombée du jour, heure idéale pour flâner dans le quartier de Gion.
Oscillant entre le clinquant et le sublime, Gion est le quartier réputé des Geishas. Le quartier se développa à l’époque féodale. Aux éventaires destinés à répondre aux besoins des pèlerins et autres visiteurs, succédèrent les maisons de thé (ochaya) comblant toute une variété d’appétits. A la fin du 19e siècle, le Kabuki, situé sur les rives de la rivière Kamo, déménagea dans plusieurs salles, renforçant la réputation de quartier de plaisirs de Gion.
Fondé au 17e siècle, le Kabuki est un théâtre flamboyant, avec des costumes somptueux et une distribution masculine. Narrant la geste des dieux, des guerriers fantômes, des fous, des femmes et des démons, le théâtre nô (talent) était la chasse gardée des samouraïs. A Edo, les représentations étaient interdites au peuple. Au début du 17e siècle, une femme appelée Okuni présente à Kyoto un nouveau genre de théâtre dansé : le Kabuki était né. Le shogunat voulut supprimer ce qui servait souvent de façade honorable à la prostitution en interdisant la présence de comédiennes sur scène. Le Kabuki leur substitua alors des acteurs travestis, les onnagata.
Séduits par les petites ruelles du quartier de Gion avec ses antiques façades en bois et leurs lanternes en papier tremblotantes qui les éclairent d’une douce lumière, nous les avons quittées avec regret pour rejoindre notre restaurant avec buffet dans des rues plus marquées par la culture occidentale.
Anne
photos : Dominique
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