A LA RECHERCHE DE LA « ZEN ATTITUDE »
Fondée en 794 sous le nom d’Heian-kyo (capitale de la paix et de la tranquillité), la ville fut copiée sur Chang-an, ville chinoise de la dynastie Tang, et resta capitale impériale pendant plus de mille ans. Elle est maintenant la septième plus grande ville de l’archipel avec une population de près de 1,5 millions d’habitants. Son statut de ville historique lui a permis d’échapper aux bombardements américains de la seconde guerre mondiale.
Bordé sur trois côtés par des montagnes et entouré par les rivières Kamo et Katsura, le site fut considéré comme idéal par l’empereur Kammu, très imprégné de culture chinoise.
Lors des crues, l’hygiène devint un problème. Une série de rituels naquirent pour apaiser les esprits responsables des fléaux et des catastrophes, élaborant ainsi un tissu de coutumes et de cérémonies. La culture de Kyoto devint un amalgame d’influences diverses (Cour impériale, noblesse, samouraïs, adeptes du bouddhisme zen et de la cérémonie du thé, tisserands de soie de Nishijin).
Les trésors de Kyoto (202 trésors nationaux, 1596 trésors culturels, 17 édifices et sites classés patrimoine mondial par l’UNESCO) ne se laissent pas facilement découvrir et il faut flâner dans les petites rues et les environs de cette ancienne capitale impériale.
Sous un ciel d’un bleu toujours éclatant, nous débutons notre journée par la visite du temple Kinkaku-ji plus connu sous le nom de Pavillon d’Or.
Yoshimitsu (1358-1408), le troisième shogun Ashikaga, se fit moine à 37 ans, renonçant ainsi à ses devoirs officiels, mais pas à son pouvoir. Il édifia cet endroit pour abriter ses retraites.
Fidèle disciple de Soseki, moine zen, Yoshimitsu demanda que son pavillon devienne un temple après sa mort et que Soseki en soit le supérieur.
Un chemin ombragé débouche sur un beau jardin à l’extrémité duquel se dresse le légendaire pavillon. Il s’agit d’une réplique fidèle de l’original incendié en 1950 par un moine fanatique dans un moment de folie. L’évènement a été raconté dans Le Pavillon d’Or, un roman de Mishima Yukio. La gracieuse structure de deux étages, entièrement recouverte de feuilles d’or, est surmontée par un phénix de bronze. Un total de 48 kilos d’or a été nécessaire pour ce travail d’orfèvre.
Le mont Kinugasa sert de toile de fond au superbe jardin de l’époque Muromachi censé évoquer le paradis sur terre.
Les différents éléments s’organisent autour du Kyoko ou lac miroir. Il est surnommé ainsi car il reflète l’image du Pavillon d’Or.
Direction ensuite le temple Daitoku-ji intimement lié à la cérémonie du thé.
Fondé en 1324, ce lieu sacré prospéra dans la seconde moitié du 16e siècle sous le patronage de deux chefs militaires (Oda Nobunaga & Hideyoshi) affectionnant particulièrement ce rituel d’origine chinoise.
Aujourd’hui, 23 temples annexes (60 à l’origine) et de magnifiques jardins poursuivent la tradition du zen et du thé.
Apprécié pour ses qualités médicinales, le thé fut importé de la Chine au 8e siècle. Les nobles prirent l’habitude d’en boire lors de grandes réceptions. Murato Shuko (1422-1502) attribua ensuite à cette coutume une dimension spirituelle qui plut aux samouraïs. La devise de ces derniers « une vie, une rencontre » exprime le sens de ce rituel (chaji) au cours duquel un repas léger et du thé vert en poudre fouetté (matcha) sont servis par un hôte à quelques invités choisis.
La cérémonie du thé est une succession d’évènements bien orchestrés. Dans son intégralité, elle peut durer trois heures. Le participant suit le parcours de pierres plates du jardin de thé. Il procède à des ablutions, puis entre en s’abaissant dans le pavillon de thé cérémoniel, d’une simplicité dépouillée, où il salue son hôte. L’alcôve décorative (tokonoma) s’orne d’un rouleau peint et parfois d’un arrangement floral ou d’un objet d’art.
Après avoir admiré le décor et les ustensiles (fouet, pot à thé, pot à eau, bol à thé, réchaud à charbon de bois, longue cuillère en bambou et bouilloire, le tout reflétant les valeurs zen de sobriété et de raffinement), il assiste (assis en seiza sur le tatami) à la préparation du matcha. Le maître de cérémonie nettoie d’abord soigneusement les ustensiles avec un tissu de soie appelé fukusa. Il fait ensuite chauffer la bouilloire de fonte sur le petit réchaud à charbon de bois installé à même le tatami. Une fois que l’eau est frémissante, elle est versée sur le thé vert en poudre (matcha) à l’aide d’une longue cuillère en bambou. Le thé est battu avec un petit fouet en bambou pour obtenir un mélange d’aspect légèrement mousseux.
Lorsque son hôte lui tend le bol de thé fraîchement préparé, le participant incline la tête et consomme la collation et le thé. Pour boire le matcha, il faut tenir le bol de la main droite et le placer dans la paume de la main gauche ; le tourner de 90°, le lever avec les deux mains et en boire le contenu en trois gorgées. Chaque élément de ce rituel est symbolique et remonte aux origines du Japon.
Laissant bien à regret la tradition du thé et son cérémonial, nous avons dirigé nos pas vers l’un des temples annexes du Daitoku-ji, en l’occurrence le Ryogen-in (trésor national), fondé en 1502 et entouré de quatre jardins de styles différents : le jardin de paradis, le jardin sec, le jardin promenade et le jardin de thé. Des paysages peints à l’encre ornent l’intérieur du bâtiment.
Quelques petites précisions sur les jardins japonais. Les jardins arrivent au Japon au 6e siècle avec la culture chinoise et le bouddhisme.
Le Dit du Genji (10e siècle) décrit des jardins qui se sont répandus dans le clergé et l’aristocratie. Les plus grands sont des jardins d’agrément élaborés autour d’un étang. Aménagés spécialement pour représenter l’univers bouddhiste, les étangs et les rochers évoquent des îles et des océans.
Le zen donne aux jardins des temples une approche minimaliste, ne les aménageant parfois qu’avec des pierres et du sable ratissé. Les maîtres de thé ont par contre une prédilection pour les clairières luxuriantes et boisées tapissées de mousse et de pierres de gué s’harmonisant avec la maison de thé et avec l’eau qui coule.
Le jardin de paradis, le jardin sec, le jardin-promenade et le jardin de thé partagent un grand nombre de composants et de principes. Leur objectif commun demeure la création d’un microcosme où les pierres, l’eau et les arbres se mêlent afin d’offrir un paysage miniature, idéalisé et symbolique. Les jardins-promenades et les jardins de thé sont conçus pour la flânerie tandis que les jardins secs et les jardins de paradis sont destinés à être contemplés d’un point fixe.
Le jardin de paradis évoque le paradis bouddhique. Disposées avec art, les pierres créent l’illusion d’îles et de rivages rocheux.
Le jardin sec est rattaché aux temples bouddhiques zen. Avec ses pierres sélectionnées avec soin et disposées au cœur d’une étendue de sable ratissé, le jardin sec invite à la méditation. C’est une version en trois dimensions des peintures chinoises Song, paysages monochromes sur le destin de l’homme, ses relations avec la nature et sa place dans l’univers.
Dans un jardin-promenade, la vue évolue à chaque pas grâce aux perspectives tour à tour dévoilées et cachées. Conçu par les daimyo (seigneurs féodaux), il était très prisé à l’ère Edo. L’art de l’élagage est destiné à révéler les qualités inhérentes à un arbre qui, taillé, constitue généralement le cœur du jardin-promenade.
Le jardin de thé se compose d’un sentier bordé de plantes taillées qui conduit au pavillon de thé.
Au gré des clichés pris sur les différents sites, nous reconnaissons l’un ou l’autre de ces jardins.
Deuxième grande étape de notre journée, le temple Kiyomizu-dera.
Construit en 798 sur une colline surplombant l’est de Kyoto, c’est l’un des monuments religieux les plus célèbres du Japon. Dédié à Juichimen Kannon, la déesse de la miséricorde aux onze visages, il est longtemps resté le temple principal de l’école Hosso, l’une des plus anciennes écoles bouddhistes du Japon. Les bâtiments actuels ont été érigés par le shogun Tokugawa Iemitsu en 1633.
La salle principale, classée trésor national, est perchée contre une falaise et posée sur une structure massive constituée de 139 gros piliers de bois. Miracle de menuiserie, elle est réalisée sans un seul clou. La terrasse s’avançant au-dessus du précipice offre une superbe vue sur les toits de Kyoto.
L’expression japonaise « sauter du kyomizu-dera » équivaut à l’expression française « se jeter à l’eau ». Elle a pour origine une tradition de la période Edo qui prétendait que si une personne survivait à un saut depuis la terrasse du temple (13 mètres), son vœu se réaliserait. 234 sauts ont été comptabilisés à cette époque avec un taux de survie de 85,4%. La pratique est maintenant interdite.
En contrebas du bâtiment principal se trouve la chute d’eau Otowa-no-taki, réputée pour ses vertus purificatrices et thérapeutiques. Les fidèles s’y rendent pour s’y purifier, parfois par immersion sous la cascade, et boivent son eau dans des coupelles en fer.
Kiyoi mizu signifie eau pure ou eau de source. Le temple de l’eau pure tire son nom de la brise printanière qui parvient jusqu’à lui et qui, selon la légende, aurait des vertus énergisantes. La chute d’eau se divise en trois canaux. Une croyance locale affirme que boire l’eau de la chute de droite confère le succès dans les études, boire l’eau de celle du milieu donne un corps sain et boire l’eau de celle de gauche assure la longévité.
Avant de quitter ce site sacré, un bref aparté sur le Kodo ou voie de l’encens. Réputé pour déplaire aux mauvais esprits, l’encens est omniprésent dans les hauts lieux du bouddhisme. Introduit avec le bouddhisme au 6e siècle, il acquiert au cours de la période de Heian (794-1185) une dimension sensuelle en plus de ses connotations religieuses et funéraires. Offerts aux empereurs et aux ecclésiastiques, de gros et inestimables morceaux de bois parfumés sont parmi les objets exposés aux trésors des temples.
Les nobles de Heian se divertissaient en organisant des parties de kokai, jeu raffiné qui consistait à deviner la provenance d’un encens à mesure qu’il brûlait et auquel on jouait selon une stricte étiquette.
Le shogun Ashikaga Yoshimasa collectionna et baptisa 130 encens au 13e siècle. La pratique a beaucoup décliné avec les derniers shoguns, mais la voie de l’encens a encore ses adeptes.
Kiyomizu-dera est installé au cœur du quartier Higashiyama, l’un des plus commerçants de la ville. La pente pavée qui y conduit (pente de Kyomizu) était appelée au 19e siècle l’allée des théières.
Elle est parsemée de boutiques et possède un charme irrésistible avec ses vieilles maisons en bois.
Nous l’avons gravie rapidement à l’aller et descendue de manière plus bucolique au retour en nous attardant dans certaines boutiques proposant un artisanat de qualité,
mais aussi quelques délicieuses spécialités locales comme ces petits gâteaux au thé vert ou à la cannelle dont le nom japonais s’est évanoui de ma mémoire.
Après avoir rejoint notre autocar, nous prenons le chemin du Palais impérial de Kyoto (Kyoto-Gosho). La visite guidée des bâtiments est règlementée et tout manquement aux consignes (arriver en retard et ne pas rester groupé) serait malvenu. Il faut déposer une demande au préalable à l’Agence de la Maison impériale située dans le parc du Palais.
Jusqu’en 1868, la famille impériale était installée dans ce palais construit au cœur du parc de Kyoto.
C’est un vaste ensemble de bâtiments et de jardins, entouré d’un large mur percé de portes imposantes.
Le palais a été construit sur le modèle des palais impériaux chinois. Il a été entièrement détruit dans un incendie et reconstruit en 1855. Seul l’actuel empereur du Japon a été sacré au palais de Tokyo. Tous les autres empereurs l’ont été dans le palais de Kyoto. Il ne sert plus aujourd’hui que de résidence secondaire à la famille impériale.
Le style architectural est le style Shinden de la période Heian, souvent utilisé par les nobles ou les samouraïs de haut rang du 15e siècle. Ce style est représenté par les chemins couverts qui permettent le passage entre les bâtiments, les cloisonnement des pièces recouvertes d’un parquet sur le sol et des tatamis pour s’asseoir ou dormir.
Neuf portes permettent d’entrer à l’intérieur du Palais. Chacune d’elle est attribuée à une classe sociale spécifique. L’imposante porte Kenreimon avec son toit en bois de cyprès soutenu par quatre piliers est située dans le mur sud et réservée à l’empereur. Deux portes permettent d’accéder à la résidence de l’impératrice. Les autres sont pour les enfants de la famille royale, les nobles, les ministres, les hommes de loi, les messagers et les domestiques.
L’austérité des lieux est rompue uniquement par cet orange si particulier des portes et des colonnes et par la beauté paisible de son jardin avec son pont en pierre.
Pour clore cette frénétique journée de visites, flânerie dans les grandes artères commerçantes de Kyoto pour rejoindre à pied notre hôtel ;
puis dîner « grand siècle » dans un restaurant français revisité à la japonaise avec argenterie, porcelaine Wegwood, petits pains variés et serveuses très stylées aux ravissants petits tabliers « so british ».
Anne
(photos : Dominique)
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Premières impressions en direct :
Départ ce matin en bus pour nous rendre au temple d'or "Kinkakuji". Contre toute attente, le temps est encore spendide pour un mois de janvier. Les kami étaient avec nous et c'est sous un ciel d'un bleu azur que nous avons pu contempler ce temple qui ressemble à une pagode recouverte d'or sur deux étages.
Autre bonheur: nous étions les premiers sur le site. Les jardins sont aussi bichonnés que les patch et d'une grande sérénité. A la sortie, nous avons même pu croiser un bonze.
Le second temple que nous devions visiter étant fermé pour travaux, Tomo nous en a fait découvrir un autre, tout aussi beau, le "Daitokuji temple" avec des jardins secs (bois, pierre, sable) et des jardins de mousse dont nous aimerions bien garnir nos jardins. Nous avons médité sur la profondeur du vide, mais cela n'a pas suffi pour nous détacher du monde matériel.
Quand on aime, on ne compte pas et nous avons enchainé sur un troisième temple réputé depuis l'époque Edo pour ses célèbres terrasses. Certains samouraïs se jetaient du haut des terrasses pour s'assurer le bonheur s'ils s'en sortaient vivants (85 pour cent de réussite). Nous n'avons pas été jusque-là. La visite est très longue car les temples s'enchaînent en paliers.
Déjeuner et shopping dans de très belles boutiques avec un artisanat local de grande qualité.
Nous avons goûté des spécialités: petits gateaux au thé vert et à la cannelle.
Départ pour la visite du Palais impérial plutot austère, mais moins que l'un des guides sorti tout droit d'un film de Kurosawa dans le rôle du Shogun pur et dur.
Autant dire que nous ne nous sommes pas écartés du droit chemin, en rang par quatre. La visite est soigneusement minutée et réglementée.
Le jardin d'eau avec ses petits ponts et ses arbres à pins taillés comme des bonzaï était également très beau.
Marche à pied ensuite jusqu'à l'hôtel pour , mais aussi les grandes artères commerçantes. Tout à fait par hasard, nous sommes tombées dans un magasin de tissu de 3 étages dont le dernier était consacré uniquement au matériel (notamment Clover, boutons, fil Moco, aiguilles, regles non connues chez nous, rubans de soie, etc.)
Avant de partir diner, optimisation des bagages car les paquets s'entassent et nous soupesons chaque jour pour vérifier le poids.
Dîner "grand siècle" dans un restaurant français de Kyoto avec argenterie et porcelaine Wegwood, sans oublier des serveuses très stylées. On nous avait dit que les portions étaient petites au Japon. Tout le problème, c'est qu'elles se multiplient à l'infini.
Dîner "grand siècle" dans un restaurant français de Kyoto avec argenterie et porcelaine Wegwood, sans oublier des serveuses très stylées. On nous avait dit que les portions étaient petites au Japon. Tout le problème, c'est qu'elles se multiplient à l'infini.
Demain, visite d'un château de l'époque Edo, puis d'un musée textile avec démonstration de tissage. Après-midi libre, mais Tomo nous a déjà fait quelques propositions, comme toujours bien trouvées.
Anne, Chantal et Annick
Je prends en route le périple du groupe et savoure. Merci pour ces descriptions qui enchantent et pour le côté "concret" de certaines situations
RépondreSupprimerToutes mes amitiés à Dominique, le jeune retraité qui m'a permis de suivre son voyage dans votre groupe.Florence