29 janvier 2010

Du chemin de la philosophie aux icônes de la féminité du monde flottant










Vendredi 29 janvier 2010

Notre périple touche à sa fin. C’est notre dernière journée à Kyoto et il nous reste tant à découvrir et si peu de temps !

Sous un éclatant soleil matinal, nous nous rendons au temple Gingaku-ji ou Pavillon d’Argent, considéré par certains comme un chef d’œuvre inégalé de l’art du jardin. Ce temple fut la retraite montagneuse du shogun Yoshimasa Ashikaga (1435-1490), à l’origine d’une renaissance artistique très influencée par le bouddhisme zen et baptisée culture d’Higashiyama. Elle est célèbre pour la cérémonie du thé, l’art japonais de l’arrangement floral, le théâtre nô et la calligraphie.

Sybarite et esthète, Yoshimasa fit construire, entre 1479 et 1482, le temple Gingaku-ji comme luxueuse retraite de campagne. Il voulut le faire recouvrir de feuilles d’argent pour imiter le Pavillon d’Or de son grand-père Yoshimitsu, mais la ruineuse guerre d’Onin contrecarra son projet. Privé de sa couche de métal, le Pavillon d’argent brille de la patine des ans. Il s’agit d’une construction en bois laqué dont le hall principal est destiné à la prière et le premier étage aux habitations du shogun. Il fut transformé en temple à la mort de Yoshimasa.

L’édifice est l’un des plus beaux de Kyoto. Avec ses hauts pins, son sable ratissé et son étang peuplé de belles carpes, le jardin a été dessiné par l’architecte paysagiste Soami pour accueillir les soirées d’observation de la lune d’automne par Yoshimasa.




Un chemin bordé d’arbres serpente dans la colline et donne une vue splendide sur le site et la ville.

Ce jardin est censé figurer le paradis bouddhique avec le mythique mont Meru, sorte de centre du monde situé dans l’Himalaya.

Nous sommes en admiration devant les subtiles nuances des mousses, les perspectives géométriques du jardin zen et la perfection du ratissage.
Notre programme prévoyait une promenade le long du « chemin de la philosophie », malheureusement en travaux au moment de notre venue. Nous nous sommes donc limités à le contempler du regard.

Tetsugaku-no-michi, littéralement « le chemin de la philosophie » est l’un des endroits les plus appréciés de Kyoto, tout particulièrement au printemps et à l’automne. Le chemin suit un canal bordé de cerisiers, d’érables, d’anciennes maisons et de temples. Nishida Kitaro (1870-1945), professeur de philosophie de l’Université de Kyoto, est à l’origine de son nom car il l’empruntait quotidiennement.

Avant notre quartier libre de l’après-midi, une petite halte « magasinage » au Kyoto Craft Center. Ce centre commercial propose sous un seul toit tous les types d’artisanat régionaux : papier japonais traditionnel (washi), sets de calligraphie (pierre à encre, pot à eau, pinceau et encre), objets en bois ou en bambou (peignes, poupées, plateaux, bols et boites laqués), estampes, théières en fonte, jouets et porte-bonheur (comme le chat porte-bonheur maneki-neko), textiles, vêtements, bijoux, céramiques (bols, assiettes, coupes), sabres et armures de samouraïs etc.

Passionnée par le papier et les estampes, je ne peux résister au plaisir de leur consacrer quelques lignes.

Le washi (littéralement papier japonais) est fabriqué artisanalement à partir d’écorce de mûrier depuis 1300 ans. Il est réputé pour sa légèreté, sa flexibilité et sa solidité. Il en existe plus de 400 sortes aux épaisseurs, motifs et couleurs variés (uni, teint, imprimé, incrusté de pétales, moucheté de feuilles d’or ou d’autres fragments colorés…). On l’utilise en papeterie, mais aussi pour réaliser des boîtes, des abat-jour, des cerfs-volants ou bien encore des pliages (origami).
Durant l’ère Edo, les gravures sur bois, baptisées ukiyo-e ou images du « monde flottant » , l’univers du plaisir, devinrent l’art pictural le plus populaire du Japon. Ces œuvres eurent une influence profonde sur certains artistes comme Matisse ou Manet. Le graveur collait le dessin sur des blocs de bois et évidait tout ce qui ne devait pas apparaître sur la gravure. Il prévoyait un bloc par couleur. L’imprimeur encrait les blocs et les pressait sur le papier, couleur par couleur, en commençant par la plus claire. Il avait recours aux teintures végétales dont certaines étaient très onéreuses. La teinture rouge (beni) issue du carthame, pouvait valoir plus que son poids en or. Certaines estampes utilisaient jusqu’à douze couleurs. De 1790 à 1850 environ, l’âge d’or de l’ukiyo-e, les estampes célébrèrent les jolies femmes, les acteurs de kabuki, des scènes du Japon et le surnaturel. Fantômes et lutins constituaient un thème favori.

L’après-midi, nous profitons de notre quartier libre pour explorer Nishiki Market Alley. Surnommée la cuisine de Kyoto, Nishiki est une allée fascinante. C’est ici que la plupart des chefs achètent leurs ingrédients. Nombre des aliments vendus tels que le fu (gluten de blé) et le yuba (peau de lait de soja) ne sont utilisés que dans la cuisine de Kyoto. Aritsugu, à l’extrémité est de Nishiki, est réputé pour ses couteaux japonais et autres ustensiles de cuisine.

Nishiki Market est en fait un véritable dédale. En suivant l’allée principale, on découvre de multiples ramifications où il fait bon se perdre.

Tout est d’une propreté indescriptible et savamment présenté. Les japonais sont passés maîtres dans l’art de l’arrangement. Qu’il s’agisse des fleurs, des légumes, des épices ou des poissons, leurs compositions sont un véritable enchantement des yeux. Il est très difficile de ne pas s’arrêter à chaque étal :




des chrysanthèmes pastels à base de pâte de poisson pour parfumer les soupes aux sucettes de poulpes en passant par les sucres décorés, nous ne savons plus où poser notre regard.








Au fond de l’allée, nous découvrons même un petit sanctuaire shintoïste baignant dans une chaude lumière de fin d’après-midi.

De retour à l’hôtel, nous finalisons nos bagages en prévision d’un coucher tardif et d’un lever nocturne avant de retrouver le groupe pour notre dernière soirée au Japon. Nouvelle cerise (et quelle cerise) sur le gâteau de riz : une maiko (apprentie geisha ou geiko) réservée par Philippe pour embellir notre repas.

Les geishas sont issues des quartiers de plaisir, le « monde flottant » d’il y a trois siècles. Les grandes maisons vertes du 17e siècle accueillaient des banquets rehaussés par la présence de courtisanes versées dans l’art du chant et de la danse. Les amuseurs itinérants qui les accompagnaient étaient appelés les otoko geisha (artistes hommes). Dans les années 1700, on appelait geiko (femme artiste ou enfant des arts) les meilleures de ces courtisanes.
Une geisha dédie sa vie à la pratique des arts traditionnels (musique, chant, danse, cérémonie du thé, art floral). Elles étaient très nombreuses aux 18e et 19e siècles. Les jeunes filles étaient vendues par les familles pauvres à des maisons de geishas qui se chargeaient de les éduquer. Durant leur enfance, elles travaillaient comme bonnes, puis comme assistantes pour contribuer à leur entraînement, mais aussi pour assurer le coût de leur formation. Bien qu’autrefois il était presque systématique d’acheter leur virginité, elles n’étaient pas forcées d’avoir des relations sexuelles avec leurs clients.

Beaucoup de jeunes filles rêvent de devenir geisha, mais moins d’une sur trois supportera la rigueur de la formation réservée aux maiko (apprenties) dans les okiya (maisons de geishas) où leur sont enseignés le chant, la danse, le shamisen (luth à trois cordes originaire d’Okinawa) et le maintien. Certaines se spécialisent dans un art particulier et les talents des geishas confirmées suscitent l’admiration.

La geisha de Kyoto préfère être appelée geiko. Moins confirmée que sa « sœur », la maiko, apprentie geiko, n’existe qu’à Kyoto. Il existe quatre enclaves de ces artistes : Gion-kobu, Pontocho, Miyagawacho et Kamishichi-ken. Des spectacles de danse y sont organisés au printemps et à l’automne. En dehors de ces manifestations, on ne peut admirer l’art des geiko qu’en privé, dans un ryotei (restaurant), une ochaya (maison de thé) ou une ryokan (auberge).
L’art des geiko n’est enseigné qu’à Kyoto. Les jeunes femmes portent une coiffure distinctive et un costume particulier – un long obi aux extrémités pendantes, de grandes socques (koppori) et un sous-kimono au col brodé. Lorsqu’elles deviennent des geiko à part entière, elles échangent leur col brodé pour un col blanc.

Avec son visage très poudré et sa bouche réduite à deux pétales rouge vif, la geisha est une icône de la féminité. Le visage blanc et les lèvres rouges au dessin délicatement précis sont des idéaux classiques de beauté au Japon. Les cheveux de la maiko sont naturels. Les épingles à cheveux varient selon la saison. La courbe du cou, dont la peau n’est pas peinte, inspire la volupté. Même à un âge avancé, certaines geishas imposent le respect comme interprètes des arts de la scène traditionnelle.

La geisha d’aujourd’hui gagne beaucoup d’argent. Sa garde-robe comprend une collection entière accordée à chaque saison. Elle évitera de porter deux fois le même kimono devant le même client et cherchera souvent à se trouver un danna, protecteur fortuné qui fera d’elle sa maîtresse. Plusieurs premiers ministres ont épousé une geisha.
Tokyo compte un millier de geishas, quasi-invisibles, alors qu’elles ne sont guère plus de 500 à Kyoto, leur capitale. Loin d’être démodées, elles savent converser sur n’importe quel sujet contemporain.


Au menu de notre dernier repas (au Japon s’entend), le shabu-shabu, fondue japonaise à base de bœuf cru émincé et de légumes, le tout cuit à table par les convives eux-mêmes, selon leur désir, dans un nabe (plat en fonte). En guise d’accompagnements, les yudofu, gros cubes de tofu (pâte à base de lait de soja) mijotés dans un bouillon d’algues peu relevé et les tempura (beignets de légumes et de grosses crevettes) qui étaient à l’origine un plat portugais.
Dans la cuisine japonaise, la cuisson, toujours brève, ne sert qu’à rehausser la saveur naturelle des aliments. La chair du poisson doit rester ferme tandis que celle du poulet sera toujours légèrement rosée. Les légumes, croquants, gardent leur couleur. Même frits, les aliments ne doivent jamais être gras, l’huile n’étant destinée qu’à conserver leur goût. La shoyu, sauce de soja japonaise, est au cœur de la préparation de la majorité des plats.

(pour bénéficier du son original, éteindre la music box)

Notre maiko est aux petits soins pour nous. Entre deux danses, elle répond à nos questions sur son apprentissage de future geiko et nous sert le saké avec cette grâce dans tous ses gestes que nous serions bien en peine de reproduire.


Le saké (vin de riz) est un vin obtenu par fermentation, puis pasteurisation, de riz et d’eau. Les connaisseurs le jugent d’après cinq qualités : la douceur, l’acidité, le piquant, l’amertume et l’âpreté. Il peut se boire chaud, mais les plus fins d’entre eux se dégustent frais, afin de faire ressortir leurs saveurs subtiles. Contrairement au vin, le saké se bonifie rarement en bouteille et ne doit pas être conservé plus de quelques mois dans un lieu sec et frais. Pour réchauffer le saké, la bouteille est placée dans l’eau chaude. Le taruzake (saké en fût) parvient à maturation dans des fûts en cyprès, souvent présentés comme offrande dans les sanctuaires shintoïstes. Le saké le plus fin est le dai-ginjo. Il est fabriqué à partir du cœur du grain de riz.

A petits pas, notre maiko est partie à son prochain rendez-vous après nous avoir salués à la japonaise. Il n’est pas d’usage au Japon de se serrer la main ou de s’embrasser pour se saluer. Les Japonais pratiquent l’Oijigi qui consiste en l’inclinaison du corps face à son interlocuteur, les bras tendus le long des jambes. La femme doit, elle, garder les bras pliés devant son buste pendant le salut. Le degré, le nombre et la durée de l’inclinaison varient selon les circonstances, l’âge de l’interlocuteur et sa position hiérarchique. L’oijigi est utilisé aussi bien pour remercier, s’excuser, se dire bonjour que pour se séparer.

Encore sous le charme de son sourire empreint de mystère, nous terminons notre repas avec le traditionnel thé vert. Les feuilles de thé vert sont divisées en trois catégories : les gyokuro, les plus délicates, récoltées en mai, les sencha, ramassées en mai ou juin et les bancha dont les larges feuilles sont cueillies au mois d’août. Stérilisées à la vapeur, elles sont ensuite séchées. Les bancha sont généralement grillées ou mélangées à d’autres ingrédients tels que le riz brun, afin de leur donner plus de corps.

Les feuilles de thé, généralement en poudre, sont placées dans la théière. Il faut ensuite verser de l’eau bouillante sur les bancha et une eau légèrement refroidie sur les sencha et les gyokuro. La durée d’infusion doit être d’environ une minute.


Anne

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